Il n'a aucune ambition dans la vie, aucune ambition professionnelle, tout ce qu'il veut c'est vivre, s'abreuver de chaque instant. ≈ Il est amoureux des arts, de la culture, des légendes, sa tête est pleine de contes et de musique. ≈ S'il rayonne souvent de bonne humeur, trimballant son allure de mec sympathique, une guitare sur l'épaule et un skate sous le bras, il est loin de cette image presque immature, erronée quant au reste de sa famille. Il a un côté sombre, nécrosé, bouffé par la chagrin, par la perte d'une sœur. ≈ C'est un écrivain, un musicien, un aventurier, il ne sait pas se poser et vagabonde à travers les Amériques depuis des années. ≈ On le croit facile à vivre, mais ça c'est parce qu'il ne reste jamais bien longtemps, il est impulsif, impatient, inconstant, il peut être violent et déborde un peu trop de cette rage de vivre, comme s'il craignait qu'on la lui vole. ≈ Il conduit un pick-up déglingué, qu'il prend plaisir à garer au milieu des superbes voitures qui ornent le parking de l'hôtel de son frère. ≈ Il n'a pas de cellulaire, faisant croire qu'il préfère ça (mais la vérité c'est qu'il a brisé le dernier dans un excès de colère et n'a pas les moyens de s'en racheter un.) ≈ Il n'a jamais eu le courage de retourner sur la tombe de sa sœur, morte il y a cinq ans. ≈ Il a arrêté l'école à 14 ans, au grand désarroi de sa mère. ≈ Il fume, trop, et devient nerveux s'il n'a pas un paquet de luckies à portée de main. ≈ Il a eu un chien, pendant un temps, une bestiole errante qu'il avait ramassée sur le bord de la route, aussi moche qu'il était attachant, Bud a malheureusement fini sous les roues d'un tracteur, dans le Montana. ≈ Il a une vieille veste en cuir qu'il traine depuis son adolescence, usée jusqu'à la trame mais qu'il s'acharne à porter, ≈ C'est un lâche, un peureux, il craint l'amour comme d'autres craignent la maladie. ≈ Il a cette façon d'être toujours un peu hors du temps, le regard éteint, à vois fixer parfois, comme s'il regardait à travers vous, pas hostile, seulement pas là. ≈ Il a toujours un cahier en moleskine plié dans sa poche arrière, dans un sale état d'ailleurs, raturé de partout, gavé de toutes ces choses qui lui passent par la tête. ≈ Il a vécu dans des fermes, dans les rues, dans les auberges de jeunesse, chez l'habitant... là où on voulait bien de lui et de préférence pour pas un sou, sa seule vraie maison, c'est celle de sa mère.

u ouvres les yeux sur la voûte céleste, la luminosité te fait plisser les paupières quelques secondes, avant que tu ne puisses admirer totalement le ciel du Colorado. La nuit dernière encore tu n'as eu que les étoiles pour couverture, allongé dans la benne de ton pick-up. Un souffle léger caresse la peau nue de ton torse et tu baisses la tête pour la regarder dormir. Des mois déjà qu'elle taille la route avec toi. Tu n'voulais pas de compagnon de route, mais tu n'avais pas résister. Un battement de cils, et tu étais prisonnier. Des milliers de kilomètres d'asphalte après votre rencontre, vous voilà dans ton Colorado natal. T'es amoureux. Tu n'pensais pas être capable d'aimer, tu avais trop peur de perdre quelqu'un, à nouveau. Tu souris à son visage endormi. Elsa, elle est belle, et tu te demandes ce qu'elle fout avec toi. Elle a abandonné ses études, la promesse d'obtenir une place de choix dans l'entreprise de son paternel et la suite vue sur Central Park qu'elle habitait dans l'Upper East Side. Du coup, tu retrouves un peu d'espoir, tu te dis que, finalement, la vie, elle a peut-être un sens, même quand on a perdu une moitié de soi. Ça te fait mal au coeur de repenser à elle, surtout sous ces cieux-là, ceux sous lesquels elle a grandi. June te manque, tu le ressens à chaque seconde, ce vide. Perdre ta sœur jumelle, c'était te perdre aussi. T'as décidé de filer, loin de chez toi, de vivre tous ces vies qu'elle ne vivra jamais. T'as décidé de vivre pour deux, d'explorer ces terres que vous vous étiez promis de découvrir ensemble. Des larmes perlent au bord de tes yeux que tu t'empresses de balayer d'un revers de main rageur quand tu sens qu'elle se réveille.

Accoudé au zinc, tu regardes ce vieux fou entrain de perdre la tête. Un jeune homme essaie de lui parler, de lui faire comprendre que, non, il n'est pas un de ces camarades du onzième bataillon mais bien son petit-fils. Tu t'demandes si ça ne t'irais pas, de perdre la mémoire, ça serait tellement moins douloureux. Tu oublierais que ta sœur est morte à vingt ans à peine, que tu as perdu ton frère un peu, en même temps, et qu'Elsa t'a tourné le dos, pour retrouver sa vie facile, de paillettes et d'argent. Tu hais le fric, ça t'exècre de voir que ça t'a enlevé la fille que t'aimais, qu'ça a pourri Noam au point qu'il renie ses origines. Tu bois ta tequila, d'une traite, elle te brûle la gorge mais qu'est-ce que ça fait du bien, puis tu sais qu'au bout de quelques verres tu pourras te noyer dans tes illusions, et imaginer qu'elle est toujours en vie, que tu es entier de nouveau. Tu pourras t'imaginer entrain de lui présenter Elsa et de charrier ton frère, vous tous installés autour de cette vieille table qui traine dans le jardin de ta mère et autour de laquelle tu as pris tous tes incalculables goûters d'enfant. C'était pas la vie en rose mais tu l'aimais tellement et tu voudrais que ça soit toujours comme ça. Au lieu d'ça, t'es qu'un solitaire installé au comptoir d'un bar non loin de la frontière américaine, sous l'étouffant soleil mexicain, à envier un pauvre vieux atteint d'alzheimer. T'es tombé aussi bas que ça, et tu continues de creuser, avec l'énergie du désespoir.