Tu es en retard, ta montre indique sans fléchir la demi heure qui est passée. Tu devrais déjà être sur le plateau de tournage, mais l’envie et la motivation t’ont désertées aujourd’hui et tu pourrais rester des heures, affalé dans ton canapé, à regarder la plafond de ton bel appartement vide. En pyjama, pas coiffé, tu viens de couper la sonnerie de ton téléphone parce que ce bruit non seulement te semble particulièrement strident, mais te rappelle que tu as une obligation à remplir et que tu es en train de pisser dessus. Tu le sais. Depuis quelques temps, ces journées se ressemblent toutes à tes yeux : debout au petit jour, tu attends pour le maquillage, tu débites les quatre même lignes de texte pendant des heures entières parce qu’il y a toujours un truc qui ne va pas : les figurants pas assez discrets, un élément de décors qui se délite… Ton script sur le plancher, quelques pages ont été cornées, laissant apparaître des traces de stabilo, quelques notes au crayon. Tu te redresses et finis par te lever, d’un geste automatique, dénué de toute énergie. Tu te traînes jusqu’à la salle de bain, où tu t’asperge d’eau fraiche, te frictionnes, dans l’espoir que ça te redonnera ce peps perdu, mais sans vraiment y croire. Tu ne te regardes même pas dans la glace, la dernière fois que t’as fait ça, ta main s’en est souvenue, le miroir n’a pas survécu. T’étais bourré et malgré ça, rien ne te semblait plus facile, presque au contraire.

Tu roules, par chance il n’y a pas d’embouteillages, tu n’auras peut-être qu’une heure et demie de retard. Le réalisateur va encore faire être de mauvaise humeur, et franchement, tu le comprends, mais ça ne te donne pas pour autant envie d’appuyer sur le champignon et arriver un peu moins tard. La musique de la radio t’assourdit, avec ça tu espères que tu ne t’entendras pas trop penser sans quoi tu serais foutu de faire demi tour. A un feu rouge, tu remarques sans l’avoir fait exprès un kiosque à journaux, inévitablement ton regard ce pose sur le magasine people du mois. Ça te donnerait presque envie de gerber, cette photo niaise à souhait, une photo de promo de la saison suivante. Rien que ça réussit à te rendre malade, mais la légende est la cerise sur le gâteau. Pire que la pomme empoisonnée de la vieille reine/sorcière des dessins animés de ton enfance.  Le visage de Sarah se dessine devant tes yeux. Tu la vois, toujours pimpante, prête et énergique, elle se donne à 200% et pour quel résultat. Pour avoir en face d’elle un mollusque même pas foutu d’arriver à l’heure. En fait ça te fait de la peine pour elle, mais son entêtement à vouloir te trouver des excuses, à te tendre les bras, constante, alors que tout le monde te supporte de moins en moins, t’agace. Pourquoi fait-elle ça ? Le feu est passé au vert, un klaxon derrière toi te sort de tes pensées.

uc.