footloose. (eyal)

› PSEUDO · **› EN VILLE DEPUIS LE** : 20/05/2016

And those who were seen dancing were thought to be insane
by those who could not hear the music.
★ f. nietzsche

Une heure, deux, peut-être même trois, tu as perdu la notion du temps, ici, dans cette enclave loin du monde qui ne s'arrête plus pour aimer la simplicité des instants comme celui que tu vis, pleinement abandonné à la passion qui t'anime depuis l'enfance. La voix d'Otis Redding résonne, tambourinante et envoûtante, contre les murs du studio où tu es venu d'évader, te perdre un peu, retrouver la saveur du temps d'avant. Tu as trop écarté la danse de ta vie ces derniers mois et tu as l'impression d'avoir gardé en toi une énergie que tu ne sais pas dépenser autrement, enchaînant les nuits sans sommeil et les journées d'ennui. Tu as dansé quotidiennement pendant des années, cet arrêt soudain s'est répercuté sur chacune de tes activités et surtout sur tes humeurs. Pas que qui que ce soit s'en soit réellement aperçu, ils ont ajouté ça à la longue liste de tes éclats, et toi aussi sans doute. Transpirant, le souffle court, tu tournes et tu sautes, tout ton corps en harmonie avec les musiques qui guide tes pas, tu n'entends même pas la porte qui s'ouvre. Tu as fermé les yeux un instant, transporté, déconnecté, presque en transe. C'est lorsque tu rouvres les paupières que tu l'aperçois dans le miroir qui couvre le mur. Tu ne te retournes pas tout de suite, tu observes son reflet, imprenable sentinelle dans son costume d'assurance et de maîtrise. Tu n'es pas surpris qu'il soit parvenu à te dénicher dans le quartier de ton enfance, dans le studio même qui a abrité tes premiers jives. Un rictus vient s'étirer au coin de tes lèvres et tu lui fais face, vulnérable, dénudé de ton arrogance... mais pas de ta malice et tu fais quelques pas vers lui, en cadence avec les premières notes de guitare, l'invitant du doigt à se joindre à toi.

Invité

Quelques mois déjà, le gamin intenable t’a donné plusieurs fois du fil à retordre, entre ses sautes d’humeur, son irresponsabilité chronique, encore que tu ne puisses pas vraiment lui en tenir rigueur, c’est à toi de parer aux éventualités de son caractère fantasque, mais parfois, son ingéniosité te prend de court, et ça t’énerve. Et plus ça t’énerve, plus ça l’amuse, t’en es bien conscient, t’étais un peu pareil à son âge. Tu conduis, pris dans la circulation permanente de cette ville qui ne dort jamais, passant en revue mentalement les endroits où il pourrait être puisque l’appartement était résolument vide. Le soleil décline doucement à l’horizon, les feux des voitures commencent à apparaître dans le crépuscule, donnant à la ville cet air un peu bariolé. Tu reçois un appel, et, grâce à l’oreillette Bluetooth, tu décroches sans avoir à quitter des yeux la file de voiture devant toi. Tu regrettes presque instantanément d’avoir pris l’appel parce que tu sais que ça risque fort de s’envenimer, comme souvent ces derniers temps. Tu coupes court, prétextant le boulot. Un peu facile mais efficace.
Après avoir parcouru la ville, quadrillé conviendrait mieux, tu finis par arriver à Brooklyn, le dernier lieu sur ta liste.
Etrangement, tu n’avais pas pensé plus tôt à ce vieux studio de danse, tu savais pourtant qu’il y avait passé de nombreuses heures des années durant, mais la danse n’avait plus fait partie de sa vie depuis si longtemps, tu avais fini par l’oublier aussi.

Il est emporté par la musique, que tu reconnais facilement… il ne t’a pas vu, ou bien il fait comme si. Tu n’entres pas, tu te postes dans l’encadrement de la porte, les bras croisés, le regard neutre ; tu as compris que les reproches ne servaient pas à grand chose. La malice se peint sur ses traits, allume ses prunelles de jade. Tu l’avais déjà constaté lorsque tu avais commencé à travailler pour lui, il est plutôt agréable à regarder, le bougre. Joueur, il te fait signe, t’invite à le rejoindre. Tu restes immobile quelques secondes, considérant ce défi déguisé, et puis, tu le rejoins. Rare moment de connivence, en toute simplicité, et tu ne veux pas gâcher ça, parce que ça te montre qu’il n’est pas seulement le gosse capricieux que la célébrité légitime dans son inconstance.